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Mélusine au pays des merveilles

On a tous une opinion sur tout. Le fait de ne rien y connaître ne m’empêche pas d'en avoir une. Comme dit Oscar Wilde, j'adore parler de rien, c'est le seul domaine où j'ai de vagues connaissances. Bienvenue dans mon néant des merveilles.

Une tranche de vie. #1

Cet article est le premier d'une série de témoignages récoltés sur les violences que peuvent subir les femmes au quotidien. Pour voir l'intro, c'est par >>ici<<. Cette démarche de partager ces témoignages est encouragée par les mouvements libérant la parole des femmes qu'il y a eut récemment. Loin d'être de l'exhibitionnisme, il s'agit pour ces femmes de parler de ce qu'elles ont vécu sans honte, aussi librement que possible. Car ce n'est pas à elles d'être gênée de ce qui est arrivé.

"Lettre à lui

Le 16 mars. Il fait nuit, il est déjà un peu tard, et je t'entends arriver. Tu éteins la musique bien trop forte que tu écoutais, et là je te vois...

Tu m'as tout de suite impressionnée. Ta carrure,ton regard, ton sourire, la confiance qui émane de ton corps... Tout m'a plu, dès le départ. A ce moment précis, j'aurais dû me douter que je faisais une erreur, que tu ne pouvais pas être réellement le garçon qui était devant moi, que tout ça n'était qu'une illusion.

Ce soir-là, tu n'es pas resté bien longtemps. On s'est pris la tête très fortement. Tu m'as jugé sans même me connaître.

Là, j'aurai déjà dû voir le vrai toi.

J'aurais dû me dire qu'à ce moment précis ce n'était pas l'image que tu voulais me montrer, mais ton vrai toi que je ne pourrais jamais supporter. Malgré tout, tu t'es calmé, et ce toi parfait a été de retour très rapidement... C'est peut-être étrange, mais je n'ai pas prêté grande attention à cette dispute, le reste de cette soirée était si parfaite. Dès l'instant où tu es parti, j'ai voulu que tu reviennes.

Plusieurs jours sont passés. Aucune nouvelle de toi. J'ai baissé les bras, j'ai pensé à une rencontre sympathique sans suite. C'est à ce moment-là que tu es revenu. 

En y réfléchissant, cette base a fait toute notre relation : j'étais accro, toi tu partais et moi je commençais à t'oublier pile au moment où tu revenais, et à chaque fois tu arrivais à me faire replonger... Oui, telle une drogue qui te fait du bien mais te pourrit de l'intérieur sans t'en rendre compte.

Plus le temps passait, plus je ne voyais que par toi. J'ai fini par déménager dans la ville où tu habitais, à une heure de chez moi, pour être plus proche de toi, plus proche de cette emprise... Tu as pour ainsi dire emménager en même temps que moi, avec moi. Tu gérais mon sommeil, ma journée, mon humeur, mon corps, et mon apparence.

J'ai cessé d'être moi pour devenir l'image que tu voulais de moi, une apparence si trompeuse que je me suis moi-même perdue.

Lentement, tu as su éloigné de moi mes amis proches. D'abord les garçons. Puis mes copines. L'autre étape de ton plan c'était de m'éloigner de ma famille, mon seul pilier, ma seule force, afin que je sois totalement dépendante de toi.

A cet instant de notre relation, tu étais devenu ma vie. Tu étais la raison qui me poussait à me lever le matin, ma nouvelle raison de vivre.

Cela a dû t'ennuyait, je suppose que tu avais trop vite réussi... Tu as commencé à faire de moi ton porte-monnaie, ta cuisinière, ta femme de ménage, ton pantin. Tu me jetais mes baskets par la porte que je me mette au sport.

J'étais selon tes dires une personne quelconque avec des capacités. Mais pas assez mince, pas assez sportive, pas assez maquillée, pas assez féminine, bref une personne plus que moyenne à tes yeux. Tu ne voulais pas m'échanger contre une autre malgré tout, car si tu m'abandonnais, comment aurais-je survécu ? C'est ce que tu me disais, et j'y ai cru.

Tu avais la main sur mon téléphone. Sur mon compte bancaire. Les clefs de chez moi. Tu choisissais les vêtements que je devais porter : beaucoup trop strict quand tu n'étais pas là, beaucoup trop vulgaire quand tu étais présent. Tu me disais qu'il n'y avait que comme ça que j'étais belle, et encore une fois je te croyais. Il n'y avait que toi qui avait raison.

De toute façon, je ne pouvais plus avoir l'avis des autres, ces autres qui s'étaient lassé de me donner des nouvelles sans rien avoir en retour, ces autres qui ont baissés les bras et ont disparu eux aussi avec mon véritable moi...

Il n'y avait plus que toi dans ma vie, toi et moi, et mon travail.

Aaaah ! Mon travail ! Celui où tu m'amenais tous les matins, où tu me suivais à mes pauses déjeuners, et où tu venais me chercher bien trop en avance en me menaçant de partir sans moi si j'avais deux minutes de retard. Ce fameux travail, que tu ne supportais pas. Ce travail qui me faisait partir douze heures loin de toi, ce qui était insupportable, anormal, tu me le disais. 

Il est arrivé que je n'y aille pas. Il suffisait que tu sois parti en fermant tout à clef. Sinon, tu me hurlais dessus le soir en rentrant. Tu menaçais d'aller à mon travail, tu voulais que je démissionne. C'est à ce moment-là que la première gifle est arrivée.

J'étais traumatisée. J'ai très peu dormi cette nuit-là. Même si j'avais voulu, je n'aurais pas pu. Tu m'as réveillée toutes les heures pour parler de ça, pour me hurler dessus, prétextant que je le méritais, que c'était un manque de respect d'y aller sans ton accord. Ce matin là, j'étais trop faible pour y aller. A plusieurs reprises, je n'y suis pas allée, par peur que tu recommences.

J'étais vraiment crédule. Car si ce n'était pas pour ça que tu te mettais en colère, il y avait tout un tas d'autres raisons : j'avais oublié d'acheter du maïs pour ta salade, ta viande était trop cuite, je n'avais pas pu aller courir à cause d'une entorse... Et j'en passe.

Si ça n'avait été que de cris, je n'aurais pas eu à me plaindre, mais avec tes cris suivait souvent ta main, ou un saladier, ou tout autre objet à ta portée. Mais attention, ça ne faisait pas de toi un homme violent non... Juste un homme qui montre à sa femme qu'elle doit lui obéir.

Jamais le visage... C'est que tu disais (il faut être intelligent). Les bras oui. Les jambes aussi. Le ventre souvent. Même les cheveux, s'il en manque, ça se cache.

 

Un jour, pour une chose insignifiante, tu t'es senti poussé à bout. Je voulais juste revoir ma mère, elle me manquait. Tu as dit que j'étais stupide, qu'elle ne servait à rien dans ma vie sauf à me manipuler, à dire du mal de toi. Tu ne supportais pas ça, car tu étais parfait, oui oui, tu le pensais réellement. Bref... Au moment où je t'ai dit ça, c'était un soir comme un autre. Tu t'es retourné vers moi et j'ai juste senti la froideur du mur sur mon visage, une grosse douleur sous l'oeil. Au moment où j'ai ouvert les yeux, tu étais sur moi, tes deux mains entourant mon cou, j'ai regardé autour de moi et j'ai vu l'heure d'affichée. Et puis trou noir.

Au moment où les yeux se sont ouverts pour la seconde fois, c'était environ deux heures plus tard.

Tu étais sur ton téléphone à parler à plusieurs filles qui t'envoyaient des photos d'elles nues. Toi tu répondais par le même genre de photos de toi, avec moi inconsciente allongée sur le lit à côté de toi. 

J'ai été jalouse. Je l'étais plus que je n'étais en colère contre toi vu ton geste, car pour moi j'avais fait quelque chose de mal encore une fois, donc c'était normal que tu t'énerves après tout... J'ai commencé à te parler, tu m'as remis un coup de poing dans les côtes : mes pieds gelés avaient effleurés les tiens, j'étais conne, je savais bien que tu avais horreur de ça.
C'est une fois parmi d'autres...

J'ai essayé de partir plus d'une fois, mais je ne me sentais pas assez forte.

Ensuite, tu as commencé à menacer ma mère, tu me disais des choses atroces sur elle, sur mes neveux, sur les horreurs que tu leur ferais... Là, c'était inadmissible. Même si tu avais réussi à me faire un lavage de cerveau, on ne s'attaque pas aux amours de ma vie, à ma seule famille. Alors pour les protéger je n'ai rien dit... Rien dit du tout sur tout ce que j'endurais, sur ce que tu me disais, sur les menaces que je subissais jour et nuit, je n'ai rien dit pour les protéger, et me protéger moi aussi.

J'ai cru mourir à plusieurs reprises. Un jour, tu m'avais encore fait du mal, par tes mots, par tes gestes, tu avais ton corps sur le mien. Tu as commencé à défaire ton pantalon en me forçant à me déshabiller, tu disais que j'avais envie car le contraire aurait été inadmissible. Je ne t'ai pas répondu ce jour là, je ne voulais pas avoir encore plus mal... A ce moment précis, j'étais devenue ta chose, tu ne m'écoutais plus.

Tu m'as pénétré sans savoir si je le voulais, tu m'as retourné toujours en m'étranglant, tu savais que je n'étais pas consentante, et tu m'as sodomisé de plus en plus fort, de plus en plus violemment. Je hurlais, je t'ai supplié d'arrêté ça mais tu as ri. Tu as continué.

J'étais sortie de mon corps. Je saignais comme si je venais de me couper profondément, le regard vague, je n'étais plus capable de parler. Le temps m'a paru une éternité. Au bout d'un long moment, tu as fini par t'arrêter, tu t'es allongé, le regard et le sourire vainqueurs. Les seuls mots que tu m'as dit ont été : "Tu vois que tu aimes ça, tu dis rien... J'ai réussi !!" J'étais sur le ventre, je pleurais en silence par peur que ça te mette en colère. Je n'ai réussi qu'à bouger mon bras pour... Te caresser le dos. Mon dieu, comme je déteste cette moi d'avant, j'aurai aimé pouvoir t'arrêter, pouvoir hurler encore plus, pouvoir m'enfuir.

Après ça tu m'as ordonné de te faire à manger, de prendre mes baskets et d'aller courir. Je mangerai à mon retour, s'il y avait des restes. C'était rarement le cas.

ça a eu tendance à se passer comme ça. Une fois les cris et les coups passés, tu m'ordonnais cela, peut-être pour te trouver des excuses le temps de mon absence et trouver une solution pour me garder.

ça a fonctionné durant trois mois. Oui c'est court, mais suffisant. 

Une fois, plus violente que les autres, tu m'as plaqué au sol, tu m'as étranglé, j'ai tendu ma main et par miracle j'ai réussi à attraper la télécommande pour te la jeter au visage. Tu as eu un mouvement de recul, et je t'ai à mon tour sauté dessus. C'était la première fois que je réagissais. Je me suis dit "c'est moi ou lui, c'est ma seule sortie de secours". J'ai continué à te jeter des objets, et puis, avec une force surhumaine qui venait de je-ne-sais-où, je t'ai poussé violemment sur le bord de la table en verre. Ta tête a cogné. Tu m'as supplié d'arrêter ce jour-là.

J'aurai dû te tuer.
Je ne l'ai pas fait.
Je ne suis pas toi.
Je ne suis pas un monstre.

Je t'ai supplié à mon tour, je t'ai supplié de m'oublier, de partir, et de ne plus jamais revenir.

Ce jour-là, j'ai eu ce déclic. Toi et moi, c'était pas de l'amour, mais de l'emprise. Je t'ai dit stop définitivement, je n'étais plus ta marionnette, j'ai repris contact avec ma famille, mes amies, qui ont été une force vitale pour moi. Par miracle elle ne m'ont pas tourné le dos, malgré leur colère, leur incompréhension de t'avoir laissé faire. Grâce à elles, et grâce à moi aussi je dois l'admettre, j'ai réussi à faire face à tout ça.

Mais tu n'as pas complètement lâché prise.

De temps en temps tu m'envoies encore des messages, et malgré tes menaces, malgré le fait que tu m'aies suivie longtemps, malgré ma peur de toi, j'ai réussi à avancer dans ma vie, à évoluer d'une façon merveilleuse. 

J'ai dû tout changer. Adresse, numéro de téléphone, boulot. Il n'y a que maintenant que je me rends compte que je me suis sauvée, que tu ne pourras plus me faire du mal, ni à moi, ni à ma famille, car nous sommes véritablement forts comparés à toi.

Tes gestes, tes mots, tes actions font de toi au fond un homme faible. J'ai eu besoin de temps pour guérir, et même si mes cicatrices sont encore douloureuses, même si j'ai encore peur quand je sors parfois, même si ma confiance en l'humain n'est pas à la hauteur de ce qu'elle était, je suis sortie de ton emprise, de tes mensonges, de ton mépris... Je suis VIVANTE."

 

P., 26 ans. Elle n'a pas porté plainte parce qu'il avait menacé sa mère, et affirmait avoir des contacts dans la police. Aujourd'hui débarrassée de lui, elle ne veut plus y penser.

 

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