Une tranche de vie #2

Cette chronique est une série de témoignages récoltés sur les violences que peuvent subir les femmes au quotidien. Pour voir les autres articles, c'est par >>>ici<<<. Cette démarche de partager ces témoignages est encouragée par les mouvements libérant la parole des femmes qu'il y a eut récemment. Loin d'être de l'exhibitionnisme, il s'agit pour ces femmes de parler de ce qu'elles ont vécu sans honte, aussi librement que possible. Car ce n'est pas à elles d'être gênée de ce qui est arrivé.

Je ne sais pas bien quoi dire. Il n'y a pas grand chose à dire. J'ai mis longtemps à apprendre ce qu'il s'était passé. Encore plus longtemps avant de mettre le mot viol dessus. 

J'avais 14 ans, et je faisais une soirée avec mon beau-frère et des copains à lui. Ma soeur n'était pas là. Ils étaient tous plus vieux, environ 18 ans, et ils picolaient. J'ai fait la grande, j'ai fait genre moi aussi je bois souvent, j'ai fait genre j'adore le whisky, c'est top. Vers minuit il n'y avait plus que mon beau-frère et son meilleur copain. On jouait à la console, et on buvait directement le Jack Daniel's à la bouteille.

Et après je me suis réveillée, il était presque dix heures du matin, avec la pire gueule de bois de ma vie, j'ai cru mourir à force de vomir.

Dans la vraie vie, il n'y a pas le réveil sans aucun souvenirs et des bouts qui te reviennent en flash dans la journée. Aucun flash. Je n'ai jamais été capable de me rappeler du moindre bout de cette soirée. La dernière chose que je visualise, c'est moi entre les deux garçons en train de jouer à un jeu de courses de motos.

Ils m'ont raconté qu'on avait joué jusqu'à ce que la bouteille soit terminée. Ils avaient l'air de bien rigoler. Je les adorais. 

Ma soeur quelques temps plus tard m'a demandée s'il s'était passé un truc entre son mec et moi ce soir-là. D'après ses dires à lui, j'aurais "tenté de l'allumer". J'ai été honnête, à savoir que je n'en avais pas la moindre idée.

Cinq ou six ans plus tard, ma soeur et moi on avait fini par s'éloigner. Je n'ai pas bien su comment ça s'était fait, on a juste eu moins souvent envie de se voir. On a moins de deux ans d'écarts, nous avions toujours été très proches. Un soir, j'étais avec un vieil ami, qui nous connaissait elle et moi, et on s'est mit à échanger des souvenirs. C'est à ce moment que j'ai appris que "je m'étais tapé les deux pendant la nuit", "la tronche à ma soeur si jamais elle l'apprenait", "en même temps elle est chiante avec lui, il la trompe régulièrement, je n'étais pas la première, pas de raisons de m'en vouloir".

Je ne la vois plus du tout, ni mes neveux qu'elle a eu avec ce type. Je n'arrive plus à le voir lui. Il m'a fallu un moment pour accepter que ce n'était pas normal, que je n'y étais pour rien. Comment est-ce que je pourrais y être pour quelque chose alors que je n'ai plus aucun souvenir ?

Une gamine de quatorze ans avec une demie-bouteille de whisky dans le nez n'est pas apte à décider si oui ou non elle est consentante. Et il est sûr qu'à jeun, jamais je n'aurai pu faire ça à ma soeur. Encore moins avec lui et un ami à lui en même temps. Je lui faisais confiance.

Personne n'est au courant dans ma famille. J'ai géré ça grâce à mes amies. Apparemment ma soeur est heureuse. 

C. 27 ans. Elle n'a pas porté plainte, car elle refuse d'être responsable d'un conflit familiale. Elle est persuadée que certaines personnes le croirait lui plutôt qu'elle. Elle ne veut plus y penser. Elle est en couple aujourd'hui, son conjoint connaît cette histoire et la soutient.