Dans les trains, ça parle vendredi 13.

20 Novembre 2015

Depuis vendredi 13, le climat est tendu…

Quelle entrée en matière magistrale, on va me décerner le prix Nobel pour ma perspicacité.

Approche lecteur, n’aies pas peur des banalités que je lance. Je vais te raconter l’histoire de mon Amoureux en mode Super Héros. Genre Superman sans le slip et les collants.

Amoureux prend le train tous les jours pour aller bosser. Une heure et quart allée et pareil pour le retour. Oui c’est la loose, mais on fait avec. Amoureux il aime pas trop trop le train. Il entend les gens parler et ça l’énerve. Je le comprends, j’ai ce problème là avec le tram.

Il y a deux trois mois déjà, il commençait à fulminer. Je t’explique.

Amoureux monte dans le train et le contrôleur passe et le fait son boulot de contrôleur avant même la première gare : il le contrôle donc.

Aux gares d’après des gens montent. Contrôleur très consciencieux contrôle les passagers entre chaque gare. Comme Amoureux a déjà été contrôlé, il ne redonne pas son ticket à chaque fois (pour l’instant c’est super logique n’est-il pas ?)

Mais certaines personnes n’aiment pas ça :

« Monsieur, vous ne l’avez pas contrôlé lui ! »

Amoureux lui a répondu gentiment qu’il n’aurait pas aimé être son voisin durant la guerre.

C’est gentillet, on est d’accord.

Sauf que je suis rentrée mercredi soir du travail, avec mes squatteurs d’amour, et Amoureux me dit : « Je vais peut-être être convoqué au commissariat. »

Un rapide coup d’œil paniqué m’indique qu’il va bien, mais il se tient la main droite. Qu’a fait cet idiot ?

Ouvrons une bouteille de vin, asseyons-nous et écoutons.

« J’étais dans le train, en train de lire, et à l’arrêt de Vichy montent trois types, dans nos âges (à comprendre, plus de 23, moins de 30 ans), un peu style bobo se posent la rangée à côté de la mienne, face à une nana qui portait le voile. (Je m’inquiète, je sais qu’Amoureux n’est pas un fan du voile, il considère que beaucoup trop de femmes veulent l’enlever pour qu’on veuille le porter ici. Moi aussi d’ailleurs, mais ce n’est pas le sujet. On est d’accord pour dire que chacun fait ce qu’il veut de ses fesses, et donc par extension aussi de sa tête.) Les trois mecs se mettent à parler des attentats de vendredi avec conviction, clamant haut et fort que « nous savons tous qui sont les responsables hein ? Hein ? Hein ? » Les « heins » étant adressé à la demoiselle assise près d’eux. Ils s’acharnent comme ça pendant plus de cinq minutes, comme quoi les arabes c’est tous les mêmes, ils ont qu’à retourner dans leur pays, on aurait moins d'emmerdes, faut pas déconner ! (Heureusement que les blancs, ne sont pas tous les mêmes, parce que ça me ferait très mal de ressembler à des abrutis pareils.) A tel point qu’ils commencent à lui mettre des petites claques derrière la tête, histoire de bien l’humilier, bien lui faire comprendre qui sont les mâles du wagon, et au passage tenter de faire bouger son voile et lui découvrir la tête. »

-Et personne n’a bougé dans le train ? La nana elle disait quoi ?

(ça c’est moi et mes squatteurs, captivés par l’histoire, notre verre de vin à la main, qui voulons en savoir plus)

« Bin non putain personne ! La fille, elle disait rien, la pauvre, ils étaient trois… Elle baissait la tête et tentait de se faire petite. Comme si elle avait à s’excuser de quoi que ce soit ! (Là il faut visualiser Amoureux et son mètre 9o qui parle de plus en plus forte et agite les bras.) Du coup j’me suis levé et j’leur ai demandé de la laisser tranquille, gentiment, leur expliquant qu’elle n’a rien fait. (Superman je t’ai dit.) Evidemment, ils me demandent de quoi j’me mêle, qu’est-ce que je fous là, est-ce que je cherche la merde ? (Note, lecteur, l’ironie de cette question.) Du coup ça part en débat super houleux, ça vole pas plus haut qu’une engueulade entre deux gamins de 10 ans, au moins ils foutent la paix à la fille. Puis le type me pousse. (En général, à ce stade de prise de tête, les trois types ont fusionnés : Un leader parle et agit, pendant que les autres derrière roulent des mécaniques en acquiesçant vigoureusement lorsque le leader parle. On notera la hiérarchie bien organisée des idiots.) J’essaie de pas m’énerver, je suis intervenu pour calmer le jeu, pas pour l’envenimer, alors je respire, j’l’écoute m’insulter. Puis là il me sort :

T’es qu’un collabo. »

Tête choquée pour ma part, intriguée de la part de Pan, et hilare de la part de Rominou. Mélange nos trois tronches lecteur, tu obtiendras toute l’absurdité de cette phrase.

« Et là je sais pas ce qui s’est passé, mon cerveau a vrillé, le temps que je réalise je lui avais mis mon poing dans la figure et le type était couché sur le sol, sonné. Les contrôleurs sont arrivés pendant que les deux autres braillaient, et quand le train est arrivé à destination, les flics ont pris les dépositions de tout le monde pendant que le mec était amené à l’hôpital puisqu’il ne reprenait toujours pas conscience. »

Finalité de l’histoire ? Le type s’est réveillé plusieurs heures après, avec un bon mal de crâne, une entorse de la mâchoire, et un flic lui déconseillant de porter plainte à son chevet. Bien qu’il puisse mettre Amoureux devant un juge, la demoiselle aussi peut le faire, pour agression verbale, physique, et incitation à la haine. Du coup il a renoncé à toute poursuite.

Je ne crois pas qu’Amoureux a eu la réaction appropriée. Lui non plus d’ailleurs, il a regretté son geste à la seconde où le type est tombé (même si je pense que la seconde d’avant ça lui a fait beaucoup de bien, ainsi qu’à beaucoup de monde dans le wagon.) Je maintiens que la violence ne résout rien.

Pourquoi je te raconte ça alors ?

Pour faire passer Amoureux pour un type super qui secoure la veuve et l’orphelin ? Non.
Pour t’inciter à taper sur les gens pas d’accord avec toi ? Encore moins.
Pour te faire réaliser qu’il y a des gens gravement stupides et lâches (trois mecs contre une nana) ? Non, je pense que tu le sais déjà.

Pourquoi alors ?

Pour te donner une idée de quoi faire si toi-même tu te retrouves dans cette situation. Parce que beaucoup le sont.

Intervenir et aller au conflit n’est pas l’idée du siècle. Fais passer le mot, comme pour le harcèlement de rue :

Va voir la personne qui se fait emmerder style : « Hey ! Geneviève/Myriam/Robert/Ali je ne t’avais pas reconnu ! Comment tu vas depuis le temps ? » En engager la conversation avec l’air de rien, partir avec ou un truc du genre.

Si ça ne marche pas et que ça part tout de même en cacahuète, t’auras essayé au moins.

Amoureux n’aurait pas dût frapper ce type. En vrai, ce n'est pas un super-héros qui doit taper sur les gens.

Parce que les gens, même idiots, ça reste des gens.

Mais Amoureux n’aurait pas dût être le seul à intervenir. Ça serait chouette qu’on arrête de détourner les yeux quand il se passe un truc. Enfin j’trouve.