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Mélusine au pays des merveilles

On a tous une opinion sur tout. Le fait de ne rien y connaître ne m’empêche pas d'en avoir une. Comme dit Oscar Wilde, j'adore parler de rien, c'est le seul domaine où j'ai de vagues connaissances. Bienvenue dans mon néant des merveilles.

Tout ce que je vais te raconter est vrai.

(J'ai envoyé ce petit texte pour un concours de nouvelle, le thème était "glissez-vous dans la peau de votre antihéros préféré.")

Quand j’ai lu « Anti-héros », je ne sais pas pourquoi, ma première image a été Deadpool. C’est sympa Deadpool, enfin quand on aime les supers productions hollywoodiennes avec des explosions et des répliques badass. Moi je trouve ça sympa. Mais je n’allais quand même pas t’écrire pour te parler de Deadpool. Déjà parce qu’il te suffit de regarder le film pour te faire une opinion, puis parce que les explosions, ce n’est pas ce que je raconte le mieux.

Mais du coup, tu me parles d’anti-héros, comme ça, et moi j’ai ensuite pensé à Sally. Une fois cette image de Ryan Reynolds en collants disparue de mon crâne, c’est Sally qui s’est imposée. Je ne t’en ai jamais parlé je crois, mais c’est possible que quelqu’un l’ait fait pour moi, sur le ton de la confidence. Ce genre de ragots qu’on se raconte autour d’un verre, « et Mel’, qu’est-ce qu’elle devient ? », il est possible qu’à ce moment-là, on t’en ait parlé, avec ce privilège de l’information exclusive, sur un ton qui se veut à la fois calme et catastrophé. « Moi j’ai eu le temps de me faire à l’idée », ça sous-entend. Et bien sûr, ce genre de ragots, une fois l’information déballée, l’annonciateur a pris immédiatement un air contrit, « si elle ne te l’a pas dit, je n’aurais peut-être pas du… », et toi, rassurant, tu as promis « si elle m’en parle, je ferai celui qui ne savait pas. » D’un air complice, par souci de déculpabilisation, tu as peut-être même ajouté « mais je suis content que tu m’en aies parlé, c’est mieux d’être au courant. » Je m’emballe si ça se trouve, tu ne sais pas du coup qui est Sally. Dans le doute, je vais te raconter. Et même si par hasard tu es au courant, on aime toujours avoir l’exclusivité d’une histoire n’est-ce pas ? Et personne n’est mieux placée que moi pour te parler d’elle, ça je peux te l’assurer.

Ça fait combien de temps maintenant ? Je dirais bien deux ans. Quand je l’ai rencontré, j’ai eu un choc. Ce genre de choc qui fissure tes souvenirs avant et après ça. Je me souviens, j’étais dehors, seule, il n’y avait qu’elle et moi. J’ai du m’assoir sur un de ces gros rochers que l’on place pour empêcher les voitures de se garer. Dans le fond, c’est moi qui ai voulu la rencontrer. J’aurais pu faire ma vie en la croisant, régulièrement, sans lui porter la moindre attention. Elle était déjà là, depuis un moment en réalité. 

C’est le genre de chose qui devait arriver tôt ou tard.

Mais donc, j’ai eu un choc. Pourtant, elle n’est pas méchante. Effectivement, je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle est gentille. Mais son but dans la vie, et ça je peux te l’assurer, ce n’est pas de faire du mal. Elle veut juste se faire une place, et tant pis si c’est au détriment parfois de choses que j’aime.

Quoi qu’il en soit, nous ne nous sommes plus quittées après ça. Amoureux a fait comme si de rien n’était, pourtant elle était partout avec nous. Elle ne nous a pas dérangés, mais j’ai bien senti qu’il ne l’aimait pas. On s’est même disputé une fois à son sujet, je ne supportais plus qu’il l’ignore comme ça. En réalité, Amoureux faisait tout pour se protéger d’elle, elle le terrifiait.

A force qu’elle soit toujours là, j’ai bien été obligé de la présenter aux copains, aux parents. Mais uniquement les proches. Les inconnus n’ont pas à savoir notre relation. Aucun d’entre eux n’a clairement manifesté d’animosité envers elle, je te jure. Ils ont su que je la garderais dans ma vie tout de même. Ce n’est pas comme si j’avais totalement le choix en même temps. La plupart d’entre eux ont fait comme Amoureux, ils ont caché leur inquiétude.


Sally me fait peur parfois à moi aussi tu sais. Il n’y a qu’à Amoureux que j’en ai réellement parlé. Ça ne la vexe pas. C’est parfois flippant qu’elle soit dans ma vie.


Mais si tu veux que je sois réellement honnête, c’est aussi grisant. Et ça, tu es le premier à qui j’en parle. Tu vois, il y a des avantages à avoir l’histoire en exclusivité.

Sally, c’est de l’adrénaline. Métaphoriquement bien sûr.

Elle m’a obligé à me regarder en face, à regarder ma vie. Elle a été sans pitié tu sais. Elle m’a bien fait comprendre que sur certains aspects, j’étais une trouillarde. Ce n’est pas comme si je l’ignorais pourtant, que la vie était courte, et qu’il fallait en profiter. Le cinéma, les poètes, les chanteurs… On nous le répète tout le temps. On nous tanne de Carpe Diem à longueur de journée.


Sally, elle ne te le dit pas. Jamais. Elle te le montre. C’est en ça qu’elle peut être dangereuse. Elle m’a poussé au cul, encore et encore. Elle m’a fait frôler la vie. Sur le coup, lorsque je l’ai rencontré, j’ai eu envie d’abuser des bonnes choses. Peut-être qu’elle m’a un peu servi d’excuses, j’ai toujours été une épicurienne. Mais sa présence a eu cet effet-là, elle me répétait « profites-en, encore. » Et dans tout ça, tout ce chaos jouissif qu’elle a provoqué, j’ai appris à distinguer ce qui en valait le coup. 

Je peux bien te l’avouer à toi, c’est un peu grâce à elle si avec Amoureux on attend aujourd’hui une petite fille qui verra le jour en septembre. En même temps, Sally ne te donne pas le droit à l’erreur. 

Ce médecin qui me l’a présenté m’avait prévenu. Il était surréaliste. Il faisait chaud, certes, mais ses claquettes et ses mollets nus sous sa blouse laissaient penser qu’il n’était pas très pro comme médecin. Mais il me l’a dit, qu’à force d’être à son contact, en plus des émotions exacerbées qu’elle me procure, je prends tout de même le risque de devenir stérile. Enfin peut-être, et pas avant quelques années. Il est même possible qu’elle me foute la paix à ce niveau-là, et que ça n’arrive jamais. 

Dans le doute, avec Amoureux, on s’est dit qu’il valait mieux tenter le coup. Et voilà, une petite fille arrivera dans trois mois. 

C’est sûrement pour ça que je n’en veux pas du tout à Sally. En plus de ça, d’une certaine manière, elle m’a rapproché d’Amoureux, de ma famille. Avec elle, tout est plus intense. J’ai découvert la définition de crise de nerfs à son contact. Elle m’a fait péter les plombs, plus d’une fois. Mais au final, lorsque l’on se décide enfin à vivre intensément chaque instant, c’est un risque à prendre. Comment serait-il possible de ressentir une joie intense si l’on ne s’expose pas à la pire des colères ou déceptions ?


C’est dingue qu’une si petite chose bouleverse tout ainsi. Tu sais, Sally ne mesure pas plus de 2.3 millimètres. J’ai tellement pris l’habitude d’en parler comme une personne. Je ne sais plus si je t’ai précisé que cette entité n’est qu’un petit amas de cellules. Mais à la base, n’est-ce pas ce que nous étions tous ? Elle est logée, bien au chaud, contre mon hypophyse, dans mon cerveau.

Sally, c’est ma petite tumeur. Elle est bénigne, fort heureusement. 

Au final, plus je t’en parle, plus je m’interroge. Dans cette histoire, est-elle vraiment l’anti-héros de ma vie ? Sally, la tumeur qui m’a poussé à profiter pleinement de la vie. Elle ne peut vivre sans moi, c’est biologique. Pour elle, je suis le héros de l’histoire. Elle pourrait bousiller ma vie si elle grossissait. 

Mais quel genre de personne se considère comme le héros de sa tumeur ? Peut-être qu'au final, je suis l'anti-héros de ma vie. Après tout, sans elle, aurais-je réalisé à un moment l’importance de ces choses primordiales qui m’entouraient ? Sans elle, je n’aurais pas vécu pareil, c’est certain. 


Héros ou anti-héros, au final, tout dépend de quel point de vue on se place. 

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