Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Mélusine au pays des merveilles

On a tous une opinion sur tout. Le fait de ne rien y connaître ne m’empêche pas d'en avoir une. Comme dit Oscar Wilde, j'adore parler de rien, c'est le seul domaine où j'ai de vagues connaissances. Bienvenue dans mon néant des merveilles.

Un soignant trop fatigué.

De la souffrance. 

Des cris.

Le visage rouge, essoufflée, suppliante, suffocante, elle pleure, elle hurle. Pourquoi tu me fais ça ? Elle se débat, tente de se libérer de ses mains gigantesques qui la maintiennent. Dont mes mains à moi. 

-Tenez-lui bien les jambes Madame.

J'ai mon visage au dessus du sien. Shhh... C'est presque fini. ça va aller. C'est presque fini. Je répète, encore et encore, comme si ça pouvait la soulager. Mon ventre se contracte à chaque hurlement. Elle tousse à force de crier. Je sens des larmes rouler sur mes joues. C'est moi qui pleure ? Ou c'est elle ?

C'est moi qui pleure avec elle alors qu'Amoureux contracte le poing. Instinct défensif. Envie de lui sauter dessus. Il me raconter après qu'il a vu son bras se lever tout seul. 

On la libère enfin, et je la serre contre moi, on se réfugie dans le cou l'une de l'autre. Je sanglote pendant que ses hurlements s'atténuent. Amoureux est tout près, ne nous lâche pas. 

Au final, ça n'aura duré que cinq minutes. Ce n'est rien cinq minutes.

Quoi que cinq minutes, sur huit mois d'existence, c'est une éternité.

Il s'agissait d'une simple perfusion à poser.

La veille, tout s'était très bien passé. Le pansement anesthésiant, l'infirmière très gentille qui ressemblait à cette actrice. Comment elle s'appelle déjà ? On s'en fout. Ah si, Judith Godrèche. Elle a été si douce avec sa collègue. Elles étaient toutes jeunes, elles ont pris leur temps. Peur de mal faire. Peur de faire mal. Crapouillette dormait, ça ne l'a même pas réveillé. 

Le lendemain, moins de bol. Le pansement anesthésiant est posé, mais l'équipe est différente. Une infirmière plus proche de la retraite qu'autre chose. Une infirmière blasée, qui n'a pas le temps, s'y reprend à trois fois pour finir par piquer sur une zone sans anesthésiant, et qui pique mon bébé à chaque fois en enfonçant et ressortant l'aiguille, en la remuant à l'intérieur parce qu'elle ne trouve pas la veine. Une infirmière qui lève les yeux au ciel lorsque je lui dis qu'elle ne pleure jamais d'habitude. Les médecins ne me croient jamais. Elle s'est donné raison au final. Depuis, elle pleure. Les nuits commencent à être difficiles. 

Avant elle ne pleurait pas.

Avant elle ne savait pas ce que c'était d'avoir mal, de hurler, de se débattre, de supplier pour que ça s'arrête. 

Après tout, ça fait parti de la vie. Elle aurait fini par connaître ça à un moment. Certainement.

Je ne te parlerai même pas du médecin qui a entraperçu dix-huit secondes sa petite patiente. Ce médecin qui avait clairement autre chose à foutre que de gérer une gastro ++. Et je le comprends.

Non vraiment. 

Mais cet article va s'adresser d'abord à toi, soignant fatigué, soignant débordé, soignant blasé.

Je sais que tes gardes sont trop longues. Je sais que tu cours partout. Deux médecins aux urgences pédiatriques. Deux. Comme si ça suffisait. Et les infirmières, aides soignantes, auxiliaires, elles s'en prennent plein la tête à cause des trois ou quatre heures d'attentes.

Faut pas en vouloir aux parents. La majorité le savent bien que c'est pas ta faute, c'est juste pas facile de rationaliser quand le fruit de tes entrailles va mal. En tout cas moi je le sais.

Les infirmières de l'accueil ce matin là était d'une gentillesse extrême, tellement sympathique, souriante, même avec les personnes les plus grossières. Et gérer une salle d'attente qui déborde de parents avec leurs marmots malades, ça ne doit pas être une sinécure. Elles venaient régulièrement voir chaque gamin, s'assurer que son état n'évoluait pas, elle donnait de l'eau. ça a l'air de rien comme ça, mais ces petits gestes sont supers importants.

Je sais que c'est le système qu'est mal foutu. Je sais que si t'as fait autant d'études, c'est dans un but noble au départ. Je sais aussi que ça use les cas qui finissent mal. Je sais que la confiance en toi est primordiale, u les actes que tu réalises, vu les décisions que tu prends, tous les jours. Si tu doutes, comment soigner ? Comment dormir la nuit ?

La pédiatrie est une domaine particulier. Ton patient s'exprime d'une façon différente. Et c'est là que cette confiance absolue peut être un handicap. Comme chaque personne est différente, tu as beau avoir appris par cœur qu'un enfant qui réagit de telle façon a ça, parfois ça tombe à côté. C'est là l'importance des parents, qui connaissent leurs mômes.

Je me souviens de ma copine Miss Monde, qui a été voir quatre pédiatres, qui lui disait que sa souris de quelques semaines n'avait qu'une bronchite. Et que le cinquième pédiatre a fait hospitaliser la petite, qui avait aussi un souffle au cœur. Elle le savait bien elle, que quelque chose n'allait pas. Et personne ne le croyait. 

Être parent aux urgences, c'est un supplice. Parce que tu n'es plus parent, juste un accompagnant. Ce que tu dis n'est pas toujours pris en compte.

"Ce n'est pas vous qui décidez." La violence dans cette phrase. Je décide tout, tout le temps, c'est normal. Et je la connais. Et là d'un coup, je n'ai plus mon mot à dire ? "Elle n'a pas mal, elle pleure parce qu'elle est fatiguée." Non. C'est toi qui te trompe. Je sais faire la différence.

Mais oui, il faut reconnaître que lutter contre les parents qui n'ont pas fait médecine et qui s'inquiète c'est compliqué. Fatigant sans doute. Mais les parents sont des parents, pas des propriétaires. On n'est pas chez le garagiste.

Je sais aussi que parfois les soins sont douloureux, c'est obligé. On ne peut rien y faire, on ne peut pas attendre. Il faut se blaser un peu , la douleur, ça fait partie du job. Mais pas trop. C'est une question d'équilibre.

Crapouillette, c'était juste de l'hydratation par précaution. Elle n'était même pas déshydratée. Aucune urgence vitale. Mais on n'a pas le temps, on ne lui laisse pas le temps de se calmer après les premiers essais de piqures, on ne pose pas un pansement à un autre endroit. On la pique en la tenant fermement pendant qu'elle se débat. 

Vraiment, être un soignant est dur sur bien des aspects. J'ai travaillé quotidiennement avec des infirmières, et régulièrement avec des médecins en tant qu'auxiliaire de vie. Beaucoup d'heures, beaucoup de responsabilités, et selon le poste, pas énorme de reconnaissance.

Alors je comprends ceux qui sont blasés, pressés... C'est juste dommage, pour eux comme pour leurs patients.

Et les autres, ceux qui mettent autant de cœur qu'au premier jour dans ce boulot, tout le temps, qui sont empathique, minutieux, fiable, rassurant... Ceux qui prennent en compte ce qu'on leur dit sans tirer de conclusions, ceux qui ne prennent pas les patients de haut.

Ceux-là, ce sont un peu des supers-héros.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article